Les cédants
En forçant le trait, la plupart du temps, exerçant depuis de très nombreuses années, le praticien cédant son cabinet se fait fort de proposer à ses confrères de devenir son successeur. Il a conduit sa tentative de cession tel qu’il pensait être la mieux à même de réussir, usant des moyens à sa disposition, et surtout en fonction de sa sensibilité commerciale. Il n’est pas question ici de continuer une longue litanie de ce que l’on peut voir et entendre dans les cabinets dentaires en vente.
Quoi qu’il en soit, il faut entendre que les demandes des acquéreurs sont ainsi exprimées, qu’elles ne sont pas toujours en adéquation avec les propositions des cédants. Ces derniers ont exercé durant des années en tenant compte de techniques apprises et acquises tout au long de leur carrière, usant de matériaux dont ils étaient persuadés de leur efficacité, et au sein d’une organisation mise au point pendant de nombreuses années. Ils ont l’intime conviction que la transmission qu’ils s’apprêtent à réaliser intégrera l’ensemble de ces paradigmes, voire plus. Il n’en est rien, du moins pas dans leur intégralité.
Les nouveaux praticiens, puisque pour la plupart les acquéreurs sont de nouveaux entrants sur le marché des acquisitions des cabinets dentaires, ont leur propre conception de l’exercice qu’ils désirent pratiquer. Cela est tout à fait normal, et c’est ainsi qu’il en a été depuis toujours, et qu’il en sera également dans le futur. Les cédants doivent entendre ces demandes et ces exigences, et comprendre qu’ils cèdent leur activité, i.e., le droit de se dire successeur du praticien, ainsi que les biens corporels. Mais ils ne doivent pas imaginer que la manière dont ils ont exercé perdurera toujours après eux. Ce sera peut-être le cas, ou ce ne le sera pas !
Les praticiens éprouvant des difficultés avec cet état d’esprit, risquent fort au mieux de faire échouer une vente potentielle, au pire de ne jamais déclencher d’envie d’acquérir leur bien. Les autres, en esquissant peut-être le regret, parfois légitime, de ne pas voir poursuivre « l’ambiance » de leur cabinet qu’ils ont mis des années à construire, doivent apprendre à tourner la page. Enfin, pour certains, le lendemain de la vente est déjà une nouvelle histoire, organisée ou non, avec un regard assurément tourné vers le futur.
Nous savons pertinemment que ce discours peut être mal perçu, et peut, au vu de certains, refléter une certaine froideur. Il n’en est rien. Il n’est pas question ici de jugement d’aucune sorte, mais bien au contraire de préparer certains confrères à une réalité à laquelle ils doivent se préparer, s’ils désirent que la cession de leur cabinet se déroule dans les meilleures conditions. Ceci ne signifie pas, bien au contraire, qu’ils se sont fourvoyés dans leur exercice. Dans la très grande majorité, ils ont exercé leur art du mieux qu’ils le pensaient, et ils en sont fiers. C’est d’ailleurs ce que pensent leurs fidèles patients, qui leur ont témoigné à multiples reprises leur confiance.
Cet état d’esprit est le point primordial à valider avant de passer aux étapes suivantes. Il est temps de présenter leur cabinet aux demandeurs.
Tout chef d’entreprise, sait que le bien proposé, ne doit souffrir d’aucune subjectivité, au moins le minimum possible. Mettons-nous à la place de l’acquéreur, et de ses interrogations. Que désire-t-il ? Avoir le maximum de renseignements sur l’outil de travail. Mais ces renseignements doivent être tangibles et vérifiables, fondés sur des données consultables. Combien de fois entendons-nous : il y a un potentiel. Il suffit de changer de local pour faire venir de nouveaux patients. Le taux de CMU sur le RIAP n’est pas le reflet de ma patientèle ! Etc.
Quelle crédibilité accorder à de tels propos. Il faut savoir, qu’il suffit d’un item négatif ou d’un « arrangement de la vérité », lors d’une proposition de cabinet, pour que l’acquéreur se détourne, et ceci est définitif. Lorsque l’on sait la difficulté à trouver des acquéreurs dignes de ce nom, il parait judicieux de s’entourer de précautions lors de la proposition de son cabinet.
Ainsi, une expertise, assurément complète, regroupant toutes les informations concernant le cabinet dentaire à céder, est l’outil indispensable à la préparation à la vente. L’audit est une étape régulièrement réalisée dans toutes les entreprises tout au long de leur vie. Il est souvent, pour des PME, réparti par activité (marketing, sécurité, administratif, comptable, fiscal, etc.). Bien entendu, nul n’est besoin pour un cabinet dentaire de le scinder ainsi. Il n’en reste pas moins vrai, que l’audit dont doit se munir le praticien doit être complet, et refléter l’ensemble des volets le composant (réglementations, contrats de travail, étude de la concurrence, données macro-économiques, analyse des SNIR et RIAP, examen comptable, etc.). Bien sur cette liste n’est pas exhaustive. Tout audit doit également comporter des axes de développement possibles, ainsi que des conseils d’amélioration. Ainsi, cet outil complet devra se trouver à la disposition de l’acquéreur.
Il n’est pas question, pour le praticien désirant céder immédiatement son cabinet, de rectifier certains éléments mis en exergue dans l’audit pouvant porter préjudice à une vente. L’auditeur se doit d’être de la plus parfaite transparence. En effet, et nous le verrons lors du prochain article, la transaction est une opération dont tous les ressortissants doivent sortir gagnants. Ainsi, il est hors de propos de de masquer des dispositions pouvant porter préjudice à l’acquéreur.
Habituellement, un chef d’une entreprise moyenne, avant la cession de celle-ci, prend environ cinq ans pour la préparer. Dans le cas d’un cabinet dentaire, nous estimons qu’un temps de trois ans est nécessaire. L’audit est alors le préambule à la vente, dans ce sens qu’il organise le cabinet dentaire au mieux pour la présentation aux prospects.
Vient le temps de la proposition du bien. Plusieurs canaux sont à la disposition des vendeurs. Le plus connu, se situe sur Internet et consiste à déposer sur des sites, plus ou moins répertoriés, des annonces, payantes ou non. Les photos, bien réalisées, sont préférables si cela est possible. Le texte est bien entendu important, et les considérations objectives de mise. Certains sites proposent des newsletters qui amélioreront la lisibilité.
Ensuite, les annonces sur les revues distribuées, gratuites ou non, peuvent avoir un impact, car leur lecture, différée, reste un support consultable longtemps. Mais ces annonces sont parfois très onéreuses.
Les réseaux sociaux sont également un autre support. Facebook et LinkedIn en particulier. Mais leur renommée n’a d’égal que l'éphémérité de la lecture des post. Par ailleurs, à moins d’avoir énormément d’« amis », leur portée est très faible. S’abonner à certains groupes peut être une bonne formule, mais ils sont peu nombreux et les post sont également très fugaces. Par contre ils sont très lus et atteignent beaucoup de praticiens. Les groupes de corpo d’étudiants ne sont pas très fervents des annonces de vente de cabinets. Ils sont plus séduits par des remplacements ou des collaborations.
Les Conseils Départementaux de l’Ordre de Chirurgiens-Dentistes, ainsi que le Conseil National de l’Ordre de Chirurgiens-Dentistes proposent sur leurs sites ou à leur secrétariat un service d’annonces.
Les fournisseurs sont également un vecteur pour les cessions de cabinets dentaires, mais leur impact est assez faible. Enfin, quelques sociétés se sont spécialisées dans les transactions.
Une interrogation, souvent posée, est celle de la collaboration préalable à la cession. Nous avons vu, dans le premier article le point de vue des acquéreurs. Du coté des praticiens cédants, ils se trouvent assez fréquemment dans le cas de figure suivant : le collaborateur en vue d’association, après plusieurs mois de travail dans le cabinet, décide de ne pas donner suite à l’achat. Dans le cas le plus loyal, les divergences, actives ou passives, en sont responsables. Il quitte la région et cherche un autre cabinet. La situation du cédant devient compliquée, car celui-ci a perdu plusieurs mois, voire plusieurs années. Il va devoir fermer son cabinet, faute de successeur. Certains confrères, peu scrupuleux, vont profiter de la situation, en vissant leur plaque à proximité, une fois le cabinet du praticien parti à la retraite fermé. Pour le cédant, cette situation est au mieux vexante, au pire humiliante. Sans compter les visiteurs indélicats en recherche d’emplacements opportuns, venant glaner dans ces cabinets en fin de parcours, quelques informations utiles pour leur décision finale. Ces situations se retrouvent plus souvent dans de petits villages, voire de toutes petites villes. Plus la concentration de dentistes est importante, moins on retrouve ces cas, qui restent tout de même, fort heureusement, isolés. C’est pourquoi, les propositions de collaboration en vue d’association sont à étudier avec énormément de parcimonie. Nous verrons, dans le troisième article, comment articuler ces étapes de travail en commun.
En conclusion de ce deuxième article, le cédant doit se faire à l’idée qu’il vend, un bien corporel (le matériel), mais aussi le droit de l’acheteur de se dire successeur. Et cette clause, est accompagnée du droit d’exercer tel qu’il l’entend, sans obligation de prendre en compte, tout ou partie des moyens, quels qu’ils soient, de son prédécesseur. Le cédant a le devoir de l’entendre et de l’intégrer afin que la vente aboutisse.
M. Lionel ORTES, Directeur et fondateur de la S.A.S. Hippocrate-Transactions
A suivre...