Du devenir de la démographie des chirurgiens-dentistes…(3/3)



Analyse

Une fois ce constat réalisé, quelle analyse peut-on en faire ?
 
Tout d’abord, l’entrée des diplômés étrangers est un phénomène très présent. La courbe des Français se formant à l’étranger a fortement décollé en 2017, pour à présent suivre celle des praticiens étrangers arrivant sur le marché avec un diplôme étranger. Ils concernent actuellement 40 % des nouvelles inscriptions au Tableau de l’Ordre.
Or la formation à l’étranger est un réel investissement. Les fourchettes sont très larges et avoisinent les 6.000,00 euros par an, sans compter les frais de transports, de logements, de nourriture, etc. On est donc très loin du montant des études dentaires en France. Il apparaît dès lors, et la réalité sur le terrain le valide, que ces praticiens sont enclins à investir dans leur propre cabinet dentaire. Ainsi, l’investissement déployé avant les études trouvera rapidement sa rentabilité. 
 
Par ailleurs, le pourcentage de praticiens salariés stoppe sa progression. Il y a néanmoins une augmentation du nombre de praticiens entrant sur le marché du travail. Donc, arithmétiquement, le nombre de praticiens salariés augmente, mais le pourcentage, lui, se stabilise. Le statut salarié a connu un engouement avec l’arrivée, notamment, des centres dentaires il y a environ une quinzaine d’années. De nombreux praticiens y ont trouvé une sérénité face à la complexité d’un exercice libéral, même si cette idée est erronée, du moins en grande partie. De plus, leur crainte de ne pas être à la hauteur des demandes des patients, trouvait une réponse dans ce type d’exercice, par un encadrement qui leur était proposé ou du moins promis. 
Il ne nous appartient pas ici de commenter ou de juger ces faits. Nous les relatons tels qu’ils nous sont très souvent exposés, et relayés dans la profession.
 
Mais ce statut de salarié est souvent une étape. Rares sont les praticiens qui le conservent longtemps. Cela se poursuit quelques années, puis ils se dirigent, en général, vers une activité libérale. C’est pour cela que l’on observe ce plateau. Les nouveaux entrants, tentent l’expérience. Il existe un renouvellement régulier de ces praticiens au sein des structures proposant ce statut.
 
Le dernier point de cette analyse est le plus intéressant : la courbe démographique. On observe pour les années à venir une inversion de la pyramide des âges. Les nombreux praticiens formés dans les années 80 quitteront le marché du travail, d’ici approximativement 5 ans. Ils seront renouvelés par une arrivée importante de jeunes praticiens. Entre les deux, les praticiens issus des promotions dans lesquels peu de chirurgiens-dentistes étaient formés, ont une forte probabilité de voir leur exercice bousculé. En effet, on risque de se retrouver la configuration dans laquelle se trouvaient les chirurgiens-dentistes dans les années 80, du fait de l’afflux de praticiens : peu de remplacements, de collaborations, de cabinets à acheter…et une densité importante de chirurgiens-dentistes, induisant une baisse de l’activité et donc des revenus.
 
C’est une inquiétude et une probabilité que risque de subir cette génération, et à laquelle elle doit malheureusement se préparer, si l’évolution de la démographie venait à se confirmer. Or on sait les traumatismes de la génération d’entre-deux guerres qui avait connu les trente glorieuses et s’est retrouvé confrontée au choc pétrolier des années 70 avec son lot de chômage, d’inflation et de crise économique, par manque de préparation d’une situation qu’elle n’était pas prête à affronter.
La jeune génération, n’ayant pas connu le foisonnement des remplacements, des collaborations a une probabilité de mieux vivre cette période.
 
Il faut raison garder, mais être vigilent avec cette évolution.
 
La dernière interrogation qui vient à l’esprit est celle-ci. Pourquoi nos gouvernants n’ont-ils pas anticipé cette transformation ?
La première réponse, est simpliste. Ce sont des énarques, loin de nos préoccupations, qui n’entendent rien à nos attentes. C’est une réponse populiste qui ne retient pas notre attention.
La réponse est sans aucun doute plus complexe. Premièrement l’ouverture des frontières et l’équivalence des diplômes n’ont sans doute pas été suffisamment prises en compte par nos dirigeants qu’ils soient politiques, ordinaux ou syndicaux.
De plus, l’entrée sur le marché d’investisseurs, bien que l’Ordre tente de la freiner, obéit à une demande que ce soit des patients ou bien des praticiens. Pour le moment un seul mode d’exercice, parce qu’il échappe au contrôle de l’Ordre, existe, même si, ici ou là, des investisseurs ont pu pénétrer l’exercice libéral grâce à des subterfuges, et surtout un vide juridique.
Il est à parier, que le futur verra ces derniers exercices se multiplier.
 
Voilà une trentaine d’années, Claude Bébéar, alors patron des assurance AXA, avait proposé de faire gérer la Caisse d’Assurance Maladie, par sa compagnie d’assurance, au gouvernement. Après d’intenses discussions, celui-ci avait fini par décliner la proposition. Dans l’esprit de certains hauts fonctionnaires, il semble toutefois acté qu’une gestion privée de la Caisse d’Assurance Maladie lui permettrait de retrouver un équilibre financier, perdu depuis de très nombreuses années. Une des idées phares, étant la surveillance très étroite des professionnels de santé. Un euphémisme.
Il faut garder à l’esprit qu’à l’origine, la diminution du numerus clausus n’était mu que par une idée simpliste : moins de professionnels de la santé, moins de prescriptions et d’actes, moins de déficit de la Caisse d’Assurance Maladie…
Puisque cette méthode n’a pas fonctionné, loin s’en faut, il fallait trouver une autre solution. Pourquoi ne pas « mettre sous contrôle » les professionnels de la santé ? La meilleure méthode est alors d’ouvrir les vannes pour diminuer les revenus et faire en sorte de proposer aux praticiens une sorte de « fonctionnarisation » de leur activité. Nous y sommes encore loin, mais il faut rester vigilent, car c’est un risque. 
Il faut garder à l’esprit que le RAC zéro est un début de rémunération directe par l’état des praticiens. Quelle est l’étape suivante… ?
La contrepartie de ce changement est la facilité d’accès aux soins pour une partie de la population qui en était exclue en raison notamment de coûts de soins élevés. C’est une donnée qui est difficilement chiffrable, mais qui fait partie intégrante de l’équation.

Conclusion

Quoi qu’il en soit, la tendance actuelle de la profession est une augmentation du nombre de praticiens entrants, plus importante en pourcentage que celle de la population Française. Ceci implique automatiquement un ratio en baisse de la population Française vs des chirurgiens-dentistes. Ainsi, il semble raisonnable de se préparer aux conséquences de cette évolution. Premièrement, le nombre de cabinets libéraux va diminuer, ce qui entrainera une diminution des remplacements et des collaborations, une augmentation du prix des cabinets…Deuxièmement, afin de contrer cette évolution, les praticiens vont se regrouper (ce qui a déjà débuté), et surtout de plus en plus de praticiens vont se déconventionner pour échapper à l’emprise de l’état sur leur rémunération.

M. Lionel ORTES,
Président et fondateur de la S.A.S. Hippocrate-Transactions,

 Sources :
Information Dentaire
DRESS
Ordre National Des Chirurgiens-Dentistes
INSEE